J’avais même pas 20 ans quand mes parents sont partis pour deux semaines faire un safari photo au Kenya. Ils me laissaient seul dans la maison, mes sœurs ayant déjà quitté le nid familial. J’avais ainsi toute la maison à moi. Je ressentais une liberté incroyable. Quelque chose que je n’avais peut être jamais ressenti… Mais comment profiter de cette liberté? Comment profiter de cette appartement qui tout d’un coup devenait vraiment grand (j’ai toujours pensé que cette appartement où j’ai grandi était très grand, alors qu’il était assez moyen en taille de pièces en réalité)? Comment vivre totalement dans cet espace… La deuxième nuit, une idée farfelue m’est venue. Et si je mettais mon lit dans le salon-salle à manger… L’idée à peine germée, je l’ai mise à exécution, porté par une énergie considérable. J’ai poussé les meubles, pris le matelas de mon lit (je n’avais pas besoin de sommier) que j’ai posé au milieu de la pièce et installé ma chaîne audio (disques vinyle et magnétophone Revox, le must des années soixante-dix). En m’allongeant dans ma nouvelle chambre, les bras derrière la tête, je vis une salle de trône. J’étais le roi de ce nouvel espace.

En réalité j’avais fait beaucoup plus que changer la place de mon lit dans l’appartement. J’avais ouvert les portes de ma prison intérieure pour découvrir l’immensité des possibles. Cette petite différence me faisait voir la vie autrement. En sortant de la norme même de manière très modeste («mais voyons, mettre son lit au milieu du salon, ça ne se fait pas! »), j’avais brisé mes chaînes psychiques. Et d’ailleurs pendant les deux semaines qui suivirent, avant le retour de mes parents, je vécus comme dans un rêve. Tel un monarque dans son royaume, l’ex super timide d’il y a dix jours encore, j’invitais des amis pour vivre de super « parties », où nous nous éclations à danser et à refaire le monde autour de mon lit royal. Mon rapport aux filles changea rapidement: j’osais être moi-même et à proposer, ce qui m’était impossible auparavant. Je me suis senti puissant et entreprenant, ouvert aux autres et à la vie. Vivant, quoi !

Ce moment fut en fait, la fin de mon adolescence coincée, la fin de cet enfermement personnel (et familial). Depuis, j’ai beaucoup avancé, mais je garde le plaisir de continuer à dormir chez moi dans un autre lit que le lit standard: dans le salon devant le feu, dans la chambre d’amis. J’ai aussi dormi un jour dans la chambre de mon fils de dix ans, alors qu’il était en vacances ailleurs. Cela a été une nuit de connexion au divin dont je me souviens encore.

Depuis, je sais que le pas de côté, la chose qui sort de l’ordinaire est essentielle pour vivre pleinement sa vie. Il est tellement facile de rentrer dans la conformité. Cela n’a pas besoin d’être extraordinaire. C’est même essentiel qu’il ne le soit pas. Il doit être quasi-ordinaire. Le ‘quasi’ est fondamental. C’est de cette petite différence, assez insignifiante pour les autres que tout démarre. Ce pas de côté n’a pas à être impressionnant pour quelqu’un d’autre. Il est fait pour vous. Je me souviens d’une femme assez disciplinée – voire parfois un peu rigide – à qui son thérapeute lui avait demandé, alors qu’elle prenait tous les soirs le métro parisien pour rentrer chez elle, de descendre à la station d’avant ou d’après sa station habituelle et de finir le trajet à pied. Cela lui semblait extrêmement difficile et elle mit plus d’une dizaine de jours avant de pouvoir sortir de son trajet habituel. Un soir, elle descendit après, en ayant le courage de ne pas descendre à sa propre station. Et bien entendu, elle s’en réjouit. En marchant elle regarda autour d’elle, ce qu’elle ne faisait pas sur son chemin de retour quotidien. Tout lui apparaissait neuf, éclatant d’une beauté nouvelle.

Mais surtout elle sentit l’espace de liberté, tout ce qu’elle ne s’autorisait pas de peur que tout parte à vau-l’eau, que le chaos ne s’installe dans sa vie. Donc elle retenait tout. Et bien entendu elle souffrait de cet enfermement. Mais en faisant ce petit pas de côté, elle se sentit vivante. Ce fut la première étape de son cheminement personnel qui l’amena, plus tard, à rencontrer le chamanisme et le tantra, puis à changer d’orientation professionnelle en vivant de manière aussi libre qu’elle le désirait. Ce fut un parcours de vie qui dura ensuite plusieurs années, et qui bien entendu se poursuit encore, car la Vie ne s’arrête pas, mais pour elle tout a commencé en descendant à une autre station de métro.

Jacques

Et toi, Mets-tu de temps en temps des perspectives nouvelles dans le quotidien de ta vie?

Et toi, as tu fait ce petit pas de côté?

Crée tu les conditions pour que ton quotidien s’ouvre à la nouveauté?

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